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Les Pages de l'Olivier
25 octobre 2006

Le livre en chacun..

Quand j'étais petit, que je résidais encore dans mon village et que j'allais à l'école, je me portais volontaire quand je le pouvais pour les tâches ménagères ou routinières de la classe (laver le sol, effacer le tableau, distibuer les livres, nettoyerles étagères...etc etc)... Le maître me récompensait alors en me prêtant un des livres de la bibliothèque de l'école; seuls les dernières années pouvaient les emprunter, et moi, je me disais que si la Volonté divine avait décidé que je mourrais bien avant d'atteindre la dernière année, alors il fallait les lire maintenant...

C'est comme cela que je suis arrivé à ce pacte avec mon maître d'école; je nettoie la classe, et il me prête un livre...

Ce fut ainsi jusqu'à ce qu'on apprit par des voyageurs que le fléau se dirigeait vers nous...Or, l'école se situait à l'entrée du village; ce sera le premier batîment à être détruit..Non point simplement parce qu'il était le premier sur la route mais ,aussi parce qu'il était un lieu de savoir et d'apprentissage..Et le fléau voyait en nous des barbares analphabètes qui doivent rester analphabètes pour être des proies plus faciles....

Je n'avais même pas lu le quart des livres de la bibliothèque, et j'avais entendu dire que le maître avait annoncé qu'il ne quitterait pas l'école, et qu'il y mourrait s'il devait en être ainsi...

Et les livres?..je pensais que c'était le dernier de ses soucis...

Le concierge m'avait un jour dit les yeux écarquillés que ce serait vraiment une perte tous ces livres qui seront enterrés sous les décombres...

On n'enterre pas le savoir, en tout cas, pas ici; ce fut ainsi à une certaine époque mais sur un autre continent..Pas ici!

Les livres n'étaient pas à moi; je voulais conserver leur savoir pour en jouir dans les heures de ma vie...J'ai alors décidé d'en apprendre un par coeur, et de sommer chaque élève qui le pouvait d'en faire autant...

A l'école et pendant notre "enfance" de grands (la descendence des pierres n'a jamais connu de vraie enfance..On naît grand et on meurt sage), le concept d'ami ou de meilleur ami n'existaient pas chez nous; on avait mieux..."Mon frère" et "ma soeur"..On pouvait se confier à n'importe qui d'entre nous, parler à n'importe qui d'entre nous et demander de l'aide à n'importe qui d'entre nous..Il n y'avait pas de groupe ni de couple...On était un seul bloc, une seule pierre mais avec d'innombrables âmes...

Les grands furent d'accord; chacun d'eux emprunta un livre..Moi et quelques camarades de classe avions nettoyé quasiment toutes les classes et avions obtenu des livres...Plus que le demi de la bibliothèque allait être sauvé dans nos têtes...

J'appris le livre d' "Ali Baba et les quarante voleurs"; écrit à l'ancienne et qui faisait plus de 200 pages...

La nuit, quand je me suis endormi, moi qui ne rêvais jamais et faisais des cauchemars sans même savoir que ce sont des cauchemars puisque les limites de la peur étaient très poussés chez moi,.. j'eus un drôle de songe; j'étais accroupi derrière un dattier à épier la venue des quarante voleurs..Ils arrivèrent; leur chef était notre maître que Dieu ait pitié de lui, et leur butin n'était que des livres, des livres et encore des livres...

Après le "Sésame ouvre-toi!", ils entrèrent et j'entrai à leur suite; le maître me remarqua et descendit de son beau étalon blanc..Il m'attira vers l'intérieur tandis que les voleurs empilaient les livres sur d'autres piles déjà présentes..La grotte était envahie de livres, que de livres, de livres et encore des livres...

J'appréciai le spectacle et étrangement je n'avais pas peur; les cimeterres des voleurs étaient des épées en bois comme on en confectionnait, nous les gamins, quand on voulait jouer à Salah Din Al Ayoubi...Le maître me montra un voleur qui passait à proximité; c'était une femme

-"Elle, c'est "Calila et Dimna", la fille d'Ibn Al Mokafaâe..Tu veux lui parler?"

J'étais surpris, je lui ai demandé si chaque voleur était un livre, et dans ce cas, pourquoi les livres empliés n'étaient pas des voleurs..Il m'a répondu simplement en me mettant "Ali Baba et les quarante voleurs" entre mes mains...

-"N'importe quel humain peut être un livre, mais aucun livre ne peut être un homme...Tu as ton histoire; elle est un livre, ton autobiographie, et tu la comprends, tu t'en souviens...Si tu venais à lire celle d'un autre, tu pourrais peut être la comprendre mais pas t'en souvenir..Tu garderas le livre avec toi au cas ou..;dans ta bibliothèque..."

-"Si le savoir pouvait être volé mon fils, alors ce n'est pas un savoir!"

La grotte disparut et je me réveillai doucement au chant d'un rossignol...Le soleil venait d'apparaître; je réflechis aux paroles de mon maître...

Que suis-je en train de faire?..j'ai appris un livre!...Mais est ce comme ça que j'acquerai le savoir qu'il contenait..??

Je fus pensif durant la matinée; "Ali Baba et les quarante voleurs" contenait tant de moral; c'est du savoir...Le reste, ce que j'ai appris, n'est qu'une espèce de corps éphèmère destiné à préserver la morale et à la faire parvenir..Si je l'ai comprise, si je suis arrivé à la lanterne au bout du chemin, pourquoi donc garder la carte de la route?...

Je ne lésine pas les détails; je donne de l'importance à ces petites choses qui rôdent...

Peut être que c'est la raison pour laquelle j'ai appris le livre...

Mais ce que m'a dit mon défunt maître, je ne l'avais jamais su...

Plusieurs jours après, le fléau était aux portes de notre village; personne ne l'avait quitté pourtant...Il avait bel et bien détruit une aile de l'école, celle avec le plus de classes...Il ne veut pas simplement détruire le savoir, mais détruire aussi ceux qui le portent, qui le feront perpétuer, et qui feront perpétuer les idéaux et le peuple...

Le directeur avait réussi à convaincre le maître de quitter le batîment; il lui avait dit que les élèves avaient besoin de lui pour continuer notre apprentissage, quitte à le faire sur le sol brut et en plein air...

Il avait donc pris les livres avec lui; chacun de nous se trouva affublé d'un récit dans son esprit et moi, en mon for intérieur, je déplorais mon maître; il avait pris les livres alors que leur savoir devait être dans son esprit..Peut être qu'il les avait pris pour les donner à d'autres enfants, je ne sais pas..je ne lui ai jamais demandé..Et je déplorais le fléau; le pauvre croyait qu'en détruisant un corps éphèmère, il détruirait ce qu'il abritait...

Ce qu'il abrite sera toujours dans les esprits et ne sera jamais perdu

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  • La vérité n'est pas les paroles larmoyantes et touchantes que prononce une bouche hypocrite en mettant une intonation de faux regret dans la voix.... La vérité est le silence des yeux qui essaient de cacher la dure et âpre existence mais n'affichent que le
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